L’IA va-t-elle vraiment carburer au nucléaire ?

Depuis quelque temps, on entend pas mal parler du nucléaire comme solution miracle pour alimenter l’intelligence artificielle. Les gros noms de la tech – Google, Amazon, Microsoft, Meta – semblent y croire dur comme fer. Ils enchaînent les annonces : contrats d’achat d’électricité nucléaire, investissements dans des nouvelles technologies, partenariats avec des start-ups… bref, ça s’agite dans tous les sens.
Mais une question se pose : est-ce que tout ça va vraiment suffire ? Parce que sur le terrain, les choses sont loin d’aller aussi vite que les communiqués de presse.
Pourquoi le nucléaire attire autant la tech ?
En gros, les géants du numérique ont besoin d’une énergie stable, qui ne s’arrête jamais, et qui émet peu de CO₂. Et là, le nucléaire coche toutes les cases. Contrairement au solaire ou à l’éolien, qui dépendent du soleil ou du vent, le nucléaire fonctionne H24. Et ça colle parfaitement au rythme des data centers, qui tournent en continu.
Du côté de l’industrie nucléaire, c’est presque une bénédiction. Après des années de flottement, voir la Silicon Valley s’intéresser à l’atome, ça redonne un sacré coup de boost. Mais même avec toute la bonne volonté du monde, construire une centrale ne se fait pas du jour au lendemain.
L’horloge tourne… mais le béton met du temps à sécher
Le vrai souci, c’est le temps. Les besoins en électricité des data centers explosent déjà, alors que la plupart des nouveaux projets nucléaires ne verront le jour qu’après 2030. Aux États-Unis, certains estiment que la consommation des data centers pourrait être multipliée par 4 d’ici là. C’est énorme : plus de 400 térawattheures par an. Pour donner une idée, c’est plus que ce que consomme un pays comme le Mexique.
Il y a bien des solutions plus rapides sur le papier, comme les petits réacteurs modulaires (les fameux SMR). Ces modèles miniatures pourraient être déployés plus vite. Mais aujourd’hui, aucun n’est encore en service. Les premiers prototypes sont attendus vers la fin de la décennie. D’ici là, les entreprises n’ont pas trop le choix : elles continuent à miser sur le gaz, et parfois même à garder ouvertes des centrales à charbon.
Des projets sur la table, mais rien de concret pour demain
Malgré tout, les annonces pleuvent. Quelques exemples :
- Google s’est allié à Kairos Power, une startup qui développe des réacteurs refroidis au sel fondu (oui, du sel, c’est sérieux). Le but : avoir jusqu’à 500 mégawatts d’ici 2035. Première centrale espérée pour 2030.
- Amazon a misé sur X-energy, qui bosse sur les SMR. Un projet pilote est prévu dans l’État de Washington, avec une puissance visée de 960 mégawatts. Mise en service ? Début des années 2030, au mieux.
Ces projets sont encourageants, c’est clair. Mais ils sont encore loin de couvrir les besoins réels. Un seul data center spécialisé en IA peut bouffer plusieurs centaines de mégawatts à lui tout seul. Alors forcément, il va en falloir bien plus que quelques partenariats pour faire tourner la machine.
Miser sur l’existant, le plan B (ou le plan A temporaire)
Pour aller plus vite, certains misent sur les centrales déjà là. C’est le cas de Microsoft, qui a signé avec Constellation pour relancer un vieux réacteur de la centrale de Three Mile Island, en Pennsylvanie. L’objectif est de produire de l’électricité dès 2028. Pas mal, vu les délais des nouvelles constructions.
Meta suit la même logique. Plutôt que de repartir de zéro, pourquoi ne pas prolonger la durée de vie des centrales existantes ? Aux États-Unis, 24 réacteurs verront leur licence expirer d’ici 2035. Certains pourraient repartir pour un tour. Des centrales comme Palisades (Michigan) ou Duane Arnold (Iowa) pourraient même rouvrir, avec un petit coup de pouce de l’État.
Il est aussi parfois possible d’augmenter un peu la puissance des centrales déjà en service, sans tout reconstruire. C’est malin. Mais là encore, ça ne suffira pas à combler toute la demande.
Un virage qui va prendre du temps… beaucoup de temps
Même si tout le monde s’accorde à dire que le nucléaire peut aider, personne ne pense que ça va se faire rapidement. Il faudrait des dizaines de nouvelles installations pour vraiment changer la donne. Et construire une centrale, ça prend souvent plus de dix ans.
Le choix des technologies qu’on fait maintenant – en 2025, 2026 – va avoir un impact pendant très longtemps. Une centrale électrique, peu importe la source, fonctionne pendant des décennies. Donc, les décisions prises aujourd’hui pèseront encore en 2040, voire au-delà.
Le nucléaire ne fera pas tout le boulot
Il faut le dire clairement : le nucléaire ne pourra pas tout faire. Ce n’est pas une solution magique. Comme le répètent souvent les experts (et Google aussi), il faudra un mix : un peu de tout. Du solaire, de l’éolien, du géothermique, du stockage… et oui, du nucléaire. C’est l’ensemble qui permettra de faire tourner l’IA tout en évitant de faire exploser les émissions.
Le nucléaire a l’avantage d’être fiable, c’est vrai. Pas besoin de soleil ou de vent. Mais ce n’est pas non plus une formule miracle. Il faut du temps, de l’argent, et des infrastructures solides.
L’IA et le nucléaire pourraient faire un bon duo. Mais il ne faut pas s’attendre à ce que ça marche tout de suite. Entre les ambitions et la réalité, il y a un monde. Il va falloir de la patience, de la stratégie, et surtout, ne pas tout miser sur une seule carte.
Et d’ici là, il faudra continuer à bricoler avec les autres sources d’énergie. Parce que l’IA, elle, n’attend pas.